"Vive la mort" (voilà ce qui, aujourd'hui, serait sensé de s'écrier)
Je suis las des mots des autres, de leur vie factice, des phrases toutes faites, des mots immortels. Ces affirmations qui traversent les époques et les chairs, qui vident toutes vies et toutes morts des choses. La perversité de ces mots vient d'une force irrémédiable, celle d'exploiter la faiblesse des êtres par une trop grande facilité d'utilisation. Les phrases qui traversent le monde en le vidant de sa substance, qui donnent à des êtres si beaux une impression de vie sociale, une illusion de communication, de marquage du temps et de l'espace. Ces phrases empêchent toute révolution, tout changement possible dans une monde dévasté par la certitude, par ces immortalités. La surface des êtres, trop apaisée pour toucher à la vie et à la mort. Nous n'existons plus, le trop grand désir d'exister ayant tout annulé. Ce mal, avec lequel on peut acquérir une illusion de force, une illusion de savoir, de direction. La certitude, le fléau; la vie sans la mort, l'aberration de la vie. Quel bonheur, pourtant, de ne rien savoir. Moi même je me fonds dans ce vide si plaisant, dans sa médiocrité, espérant retrouver une mort qui me manque tant, pour rêver à des êtres enfin vivants. Nous sommes tous entre la vie et la mort, et disparaît la possibilité de les toucher. Immortels, nous ne voyons plus, nous n'aimons plus.
